En première approche, ce questionnement semble relever de la pure fantaisie ou d’une pirouette du discours qui était l’apanage des Sophistes de l’Antiquité Grecque. Comment pourrions-nous douter de la réalité du mouvement et de son arrêt brusque lorsque lancés à 180 km/h dans une voiture de sport nous nous écrasons contre un mur ? Le mouvement ne nous apparaît-il pas naturellement comme le déplacement d’un objet sous l’effet des forces qui lui sont appliquées ? De la même façon, puis-je douter un seul instant du mouvement lorsque je mobilise, pour les étirer, tel ou tel segment de mon corps, déplier mon genou, étendre mon pied et placer mes orteils en éventail. De même, après la mise en place d’une prothèse totale d’épaule pour une arthrose compliquée d’une rupture de la coiffe des rotateurs, n’est-ce pas une grande satisfaction que de voir le patient porter la main à la bouche ou se gratter le sommet de la tête, mouvements qu’il n’avait pas réalisés depuis de nombreux mois ?
Cependant, nous sommes bien obligés de convenir que parfois nous voyons le mouvement alors qu’il n’existe pas et nous ne le voyons pas alors qu’il existe. Nous avons tous fait l’expérience suivante : confortablement installés dans un train sur le point de partir et regardant le train d’à côté nous avons, un bref instant, l’impression d’être en mouvement alors que c’est l’autre train parti avant le nôtre qui défile. Et nous devons regarder le quai opposé pour vérifier que nous n’avons pas bougé. Vous m’objecterez que les sens parfois nous abusent mais que cela ne remet pas en cause la réalité du mouvement. Certes… mais que penser du mouvement de la terre ? Nous pourrions passer une vie entière en restant persuadés que la terre est immobile au centre de l’Univers si l’on ne nous avait pas enseigné, dès l’école primaire, qu’elle tourne autour du soleil. Nous ne connaissons cette réalité du mouvement de la terre que depuis quatre siècles ! Encore une tromperie des sens et quand il s’agit de voir le mouvement, de percevoir le mouvement, nous pouvons être abusés.
Admettons que lorsque les sens ne nous trompent pas il nous est impossible de nier le mouvement. Mais une autre difficulté surgit ; sommes-nous capables de définir le mouvement ? On peut dire assez platement que le mouvement est ce qui permet à un mobile de partir d’un point A pour arriver à un point B. Cette définition simpliste ne nous dit rien de ce qu’est le mouvement. Et nous pouvons continuer à méditer sur l’extraordinaire argument avancé par Zénon d’Elée, disciple de l’illustre Parménide, pour montrer que si le mouvement règne dans notre expérience de la réalité, nous sommes cependant incapables de penser le mouvement.
Un archer tend son arc et décoche une flèche ; cette flèche décrit une trajectoire dans l’espace. Zénon fait l’observation suivante : nous voyons cette flèche voler. A un moment elle se trouve en un lieu A de sa trajectoire. Un peu plus tard, elle atteindra le lieu B. Entre A et B, elle a occupé un lieu A’ et entre A et A’ un lieu A’’. A tout instant, la flèche a occupé un lieu que nous pouvons déterminer. Si je multiplie les positions de référence, si petit que soit l’intervalle d’espace entre deux positions successives, il est toujours possible d’introduire une autre position où la flèche se situe. Mais quand donc la flèche passe-t-elle d’une position à la suivante ? Quand se meut-elle si, à chaque instant, elle est en un lieu précis ? Il ne s’agit pas seulement d’un amusant paradoxe destiné à égayer une soirée en ville. Zénon pose ainsi avec une merveilleuse simplicité la problématique du mouvement. Certes nous voyons voler la flèche, car c’est du registre de la perception, mais nous ne pouvons pas penser son mouvement parce que notre esprit est fait pour l’immuable, l’identique, l’éternel. Le mouvement a une réalité propre que nous sommes incapables de penser.
Diogène Laërce rapporte dans « Vies et doctrines des philosophes illustres » que Zénon était un homme de grande noblesse en philosophie comme en politique. Il fut arrêté pour avoir projeté de renverser le tyran Néarque. Sommé de livrer ses complices, il dénonça tous les amis du tyran. Mis à l’épreuve de la torture, il déclara qu’il ne pouvait dire certaines choses qu’à l’oreille de Néarque. Ce dernier consentit à pencher la tête pour l’écouter mais Zénon lui mordit l’oreille et ne relâcha sa prise qu’après avoir été percé de coups multiples.
Soumis de nouveau à la torture, il se coupa la langue avec les dents et la cracha au visage du tyran. La tradition soutient que Zénon fut jeté dans un mortier et broyé encore vivant. L’affaire du mouvement rebondit avec Aristote qui proposa une théorie séduisante et si cohérente qu’elle se maintiendra pendant près de vingt siècles. On a peine à imaginer
aujourd’hui que la question du mouvement ait pu donner lieu à des controverses. Nous pensons très naturellement que le mouvement est extérieur à l’objet et que le mouvement imposé à l’objet laisse ce dernier intact, inchangé en tant qu’objet : Le seul changement observé étant celui de sa position dans un espace isotrope, homogène et infini c’est-à-dire indifférent. Or cette conception n’est apparue qu’au XVIIe siècle en opposition à la conception Aristotélicienne du mouvement. Aristote, en effet, voulant rendre compte du mouvement des objets terrestres, considérait qu’un objet ne peut en aucun cas être réduit à une simple quantité de matière. L’objet possède des qualités propres que le mouvement précisément va modifier.
Ainsi le mouvement aristotélicien s’apparente à ce que nous appelons un changement. Pour Aristote, le mouvement est l’acte de ce qui est en puissance en tant que tel. Mais que signifie cette proposition en apparence absconse ?
Simplement ceci, que le mouvement d’une pierre, une fois lancée en l’air, est de revenir à son lieu naturel c’est-à-dire de retomber à terre parce qu’elle est pesante et qu’elle est constituée en grande partie de l’élément terre. Dans la continuité de la théorie des quatre éléments constitutifs de la matière (terre, air, feu et eau), l’acte du léger (la fumée d’un feu par exemple) est le fait de rejoindre son lieu d’origine c’est-à-dire l’air ; c’est pour cette raison que la fumée s’élève dans le ciel, selon Aristote.
Nous pouvons bien entendu sourire à cette évocation. Mais nous aurions tort car la conception aristotélicienne du mouvement s’est révélée d’une cohérence extraordinaire. Les questions posées et les réponses apportées sont des performances de l’esprit. Ainsi et toujours la flèche de l’archer. Une fois décochée de l’arc dont on imagine sans difficulté que le redressement entraîne une poussée sur la flèche, que se passe-t-il ? Qu’est-ce qui fait que la flèche, bien qu’ayant quitté la corde de l’arc et n’étant soumise à aucun contact, progresse dans l’espace sur sa trajectoire ? Je ne suis pas sûr qu’une telle question susciterait de nos jours des réponses appropriées par chacun. Aristote propose une théorie ad hoc : la flèche poursuit sa trajectoire car elle est poussée par les tourbillons d’air qui se forment à son passage. C’est que l’espace pour Aristote ne peut pas être neutre. Il participe au déplacement de la flèche qui finira par retomber. Dans le même ordre d’idées, la flèche tirée à la verticale retombe à la verticale. Si la terre était en mouvement, comme le prétendait Aristarque de Samos, la flèche retomberait loin derrière l’archer ; voilà un argument imparable qui renforcera pour longtemps la conviction que la Terre est immobile.
A cette physique aristotélicienne de la qualité où le mouvement résulte d’une interaction entre l’espace et les choses, s’oppose radicalement la physique galiléenne et newtonienne fondée sur un espace sans qualité, espace purement géométrique, indépendant de la matière et du temps. A cet égard, le XVIIe siècle aura été un épisode lumineux de l’histoire de l’humanité au même titre que ce qui a été parfois appelé le miracle grec dans l’Antiquité : une constellation d’esprits supérieurs, des génies pour tout dire, qui ont radicalement changé le cours des choses. Que l’on songe en effet que Galilée, Descartes, Gassendi, Leibniz, Pascal, Torricelli, Newton et bien d’autres ont été contemporains. Une nouvelle conception du mouvement émerge alors pour rompre définitivement avec la physique aristotélicienne. Cette nouvelle conception est un imposant édifice qui se construit rapidement sur la base du géocentrisme, ce que l’on a appelé la Révolution Copernicienne, les lois de Kepler, la précision des mesures astronomiques de Tycho Brahé, l’équation de la chute des corps de Galilée, la géométrie analytique de Descartes et la synthèse de Newton qui montre, in fine, que les corps célestes et les objets terrestres obéissent aux même lois du mouvement. Pour Galilée, il s’agit de « mesurer ce qui est mesurable et rendre mesurable ce qui ne l’est pas encore ». La révolution opérée au XVIIe siècle est celle d’une écriture mathématique du mouvement et d’une façon plus générale des phénomènes de la nature. Pour pallier l’indifférence de l’espace, la première loi de Newton, celle de l’inertie, répond à la question : quel est le comportement d’un objet sur lequel rien n’agit ? Réponse : l’objet est soit immobile, soit en état de mouvement rectiligne uniforme. Grâce à ses capacités prédictives illustrées de façon spectaculaire, notamment par le calcul des marées et l’annonce du retour de la comète de Halley, la science physique moderne, de philosophie naturelle qu’elle était, devient un outil de maîtrise de la nature, en assurant du même coup la suprématie de l’Europe sur le reste du monde.
Nous vivons tous, au quotidien, dans un monde galiléo-newtonien. Le grand philosophe allemand Emmanuel Kant, considérant l’édifice de la physique de Newton comme indépassable, ira même jusqu’à soutenir que l’esprit humain possède, en propre, les formes a priori de la sensibilité que sont l’espace et le temps. Cependant Einstein poussera jusqu’à son terme la révolution entreprise par Galilée et Newton. L’espace en réalité n’existe pas sans la matière et un corps placé dans l’espace subit nécessairement l’interaction de la distribution de matière dans l’Univers. Certes dans l’espace intersidéral, loin de toute concentration importante de masse, l’espace physique n’est pratiquement pas déformé et l’objet est animé d’un mouvement en ligne droite à vitesse constante. En revanche, si l’objet est à proximité de la terre, l’espace est déformé et le corps est animé d’un mouvement qui le dirige vers le centre de la terre. L’espace absolu, l’espace géométrique, l’espace euclidien, est une construction de l’esprit. L’espace par la distribution de matière (la terre, la lune) interagit avec un objet. On pourrait à ce stade se demander si la conception Einsteinienne du mouvement ne constitue pas, en quelque sorte, un retour à Aristote : oui d’une certaine façon mais sous le seul aspect
analogique. Car il ne faut pas oublier que la vision cosmologique d’Aristote a été définitivement récusée et que le mouvement ne peut être assimilé à un changement. Ce qui confère du mouvement à un corps est toujours extérieur à lui-même. La notion moderne de champ inertio-gravitationnel rend compte de cette situation. Il apparaît avec Einstein que l’inertie n’est pas une propriété des corps mais représente l’effet de la distribution extérieure de matière sur ce corps.
On pourrait s’en tenir là et s’étonner jour après jour des acquis de la science. Mais la formalisation mathématique ne nous dit rien de ce qu’est réellement le mouvement ; pire, nous avons quelques difficultés à concevoir ou à penser la gravitation. Newton l’a présentée comme une force universelle affectant chaque particule de l’Univers. Newton ne tenait pas la gravitation pour une propriété inhérente à la matière. Pour Einstein, au contraire, la gravitation est une courbure de l’espace-temps, dans une formulation quadri-dimensionnelle qui modifie la trajectoire d’un corps, c’est-à-dire son mouvement. Et si nous pouvons calculer l’effet des forces gravitationnelles sur la trajectoire d’un rayon lumineux par exemple, nous ne parvenons pas penser la gravitation, nous ne savons toujours pas ce qu’est la gravitation.
Si l’on s’en tient à la description galiléo-newtonienne du mouvement (celle qui nous est la plus familière et la plus accessible) la réflexion de Zénon est toujours valable. C’est que le propre de la pensée humaine est d’opérer sur l’immobile, sur le statique. Ce qui revient à dire que la description analytique du mouvement par la science est la représentation des arrêts qui sont autant de positions du mobile. Bergson, le plus grand philosophe français d’avantguerre, reprend ainsi à la lumière de la science l’argument de Zénon : « Si je multiplie à l’infini le nombre de positions, je ne parviendrai pas à faire le mouvement. Les positions successives ne sont pas des parties du mouvement mais des suppositions d’arrêt. Jamais le mobile n’est jamais réellement en aucun de ces points tout au plus il y passe ». A la conception analytique dite objective du mouvement, Bergson oppose une conception intuitive qui se place dans la mobilité même et dans la durée. L’intuition Bergsonienne n’est pas une vision immédiate et instantanée comme le serait une photographie, elle est plutôt co-existence ou co-présence.
Il y eut, d’ailleurs, entre les deux guerres, une rencontre historique mais malheureusement ratée entre les deux penseurs les plus célèbres du monde à l’époque, Bergson et Einstein. Bergson le penseur de la durée et Einstein le penseur de la relativité. Pourquoi cette rencontre a-t-elle été un échec ? Eh bien parce que Bergson n’a pas compris la relativité du point de vue physique, il l’a comprise du point de vue du sentiment, de l’immédiateté et du temps vécu. Or quelle est la leçon d’Einstein sur le mouvement ? Que tout espace est un espace temps, et d’un point de vue existentiel, la révolution de la relativité n’a pas eu lieu parce que nous n’arrivons pas à concevoir que tout espace est un espace temps, enfermés que nous sommes dans une conception galiléo-newtonienne qui considère que temps et espace sont deux données distinctes et absolues.
Or qu’éprouvons nous actuellement au spectacle du monde contemporain ? La sombre résonance des analyses d’Hanna Arendt, la brillante théoricienne du phénomène totalitaire, qui, dans son ouvrage, « Les origines du totalitarisme » concluait que « la terreur est l’accomplissement de la loi du mouvement » et la loi du mouvement, dans notre univers, c’est la loi de la vitesse. Il n’y a pas de rapport à la terreur sans rapport à la vitesse. Le mouvement, actuellement, se fait toujours de plus en plus rapide, nous vivons une époque d’accélération de la réalité. Quels que soient les domaines d’activité, nos sociétés vivent désormais sur un seul rythme, celui de l’accélération continue, facilitée en cela par ce phénomène que tout le monde connaît qui est la mondialisation. Mais raccourcir le temps c’est aussi rétrécir l’espace… puisque espace et temps sont indissolublement liés ; nous ne sommes pas en train de vivre une quelconque fin de l’histoire comme le prophétise, sur un ton inutilement apocalyptique, un Fukuyama..nous sommes en train de vivre la fin de la géographie. Les NTIC, les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, permettent désormais une instantanéité de la transmission de l’information ; les conséquences de cet état de fait sont considérables et n’ont pas encore été suffisamment analysées. Nous vivons une véritable mutation historique sans précédent et surtout, nous sommes dans l’incapacité de penser le mouvement accéléré, de la même façon que nous sommes incapables de penser le mouvement d’une flèche. A l’érosion de la bio-diversité et de la géo-diversité s’ajoute désormais la perte de la chrono-diversité c’est-à-dire la diversité des rythmes. Pour donner un exemple trivial que chacun comprendra, nous autres chirurgiens, sommes en permanence exhortés par nos instances à faire toujours plus d’interventions chirurgicales, toujours plus d’ambulatoire, toujours moins de durée moyenne de séjour, nous sommes enjoints à produire au minimum mille opérations par an et par salle d’opérations sans même tenir compte des variations propres à chaque patient et à chaque pathologie. Cette démesure que l’on nous présente tous les jours comme la marque du progrès et de la modernité participe en réalité de la propagande du progrès, fondée uniquement sur la vitesse, sur la loi du mouvement accéléré qui est désormais la norme de la vie mondiale. Entendons-nous bien.
Ce n’est pas le procès du progrès qu’il convient de faire mais celui de la propagande du progrès fondée sur la vitesse et l’accélération du mouvement. La pseudo promotion du progrès nous culpabilise d’être toujours en retard sur le haut débit, sur notre profil Facebook, sur le traitement de nos mails, en nous enjoignant des mises à jours permanentes de plus en plus rapides. Il y a de quoi être inquiet. Car la véritable source de toute cette agitation frénétique est métaphysique : elle est de l’ordre de la croyance que la lenteur c’est la pesanteur, que l’inertie est cause de régression et qu’à l’opposé la vitesse serait libératrice. C’est oublier encore une fois que temps et espace sont liés. Abolir les distances c’est rétrécir l’espace, d’où le risque de se retrouver dans la désagréable situation des rats de Laborit. Le temps instantané, l’immédiateté, l’ubiquité, la synchronisation parfaite de l’ici et de l’ailleurs, ce qui permet de gommer l’espace, débouche sur une conclusion paradoxale : l’accélération du mouvement tue le mouvement et aboutit à l’immobilisme. Par un effet de déréalisation, le mouvement, comme étant ce qui permet à un mobile d’aller du point A au point B est devenu une illusion.
Le grand rêve de maîtrise du temps et de l’espace a été réalisé le 7 septembre 2001 lorsque Jacques Marescaux a procédé, depuis New York, à une cholécystectomie par laparoscopie sur une patiente située à Strasbourg, grâce à un robot chirurgical commandé à distance. La prouesse technologique tenait en grande partie à l’absence quasi complète de décalage entre le geste réalisé à New York et sa reproduction par le robot à Strasbourg. Le délai de transmission était de l’ordre de 150ms seulement, ce qui a permis une véritable téléchirurgie en temps réel.
Paradoxalement nous n’avons jamais autant parcouru le monde, mais nous nous rendons en des lieux lointains par des déplacements qui sont la négation même de l’invitation au voyage, laquelle suppose une disponibilité d’esprit, une disposition contemplative et, pour le dire d’un mot, une nécessaire lenteur. Des séminaires scientifiques se tiennent à présent dans les salons des aéroports, les hubs, nouveaux lieux de vie si justement décriés par un Virilio ou un Houellebecq. Nous sommes atteints de ce mal étrange que le sociologue Pierre André Taguieff appelle le bougisme, cet incessant mouvement qui se suffit à lui même, qui est à lui même sa propre finalité.
Et le stade ultime de ce qu’il faut bien considérer comme un dérèglement majeur nous est fourni par l’exemple de l’économie financière. Avant 1980 les bourses fonctionnaient grâce aux hommes et il fallait à la fois de l’intelligence, de la réactivité et du flair pour réussir les opérations boursières. En 1980, le Programm Trading a permis de connecter toutes les bourses du monde en temps réel et un premier krach en 1987 a mis en lumière la difficulté d’une gestion qui n’était plus fondée sur un temps partagé, sur l’anticipation et sur l’intelligence. A l’heure actuelle, les opérations sont si rapides et si sophistiquées que la machinerie informatique supplée peu à peu les traders. La vitesse de calcul a remplacé le flair.
Le High Frequency Trading, le HFT pour les initiés, permet de passer des ordres dans un laps de temps qui se compte désormais en micro-secondes, et de gagner beaucoup d’argent en jouant sur des écarts infimes de la cote de certaines valeurs d’une place financière à une autre.
Les opérateurs de trading à haute fréquence cherchent d’ailleurs à installer leurs ordinateurs le plus près possible de ceux des banques pour gagner la fraction de seconde que met l’ordre à parcourir le fil électrique. Voilà une illustration éclatante de l’unité espace-temps et du fait que l’on ne peut pas toucher au temps sans toucher à l’espace. Le cours actuel des choses nous incite à réexaminer l’interaction entre la vie et le mouvement. Si la vie est le mouvement comme le soutenait Montaigne, le mouvement porté à son paroxysme porte en lui la menace de l’extinction de la vie. Arrêtons nous un instant pour en débattre… et réapprenons le sens de la distance, du recul, de l’éloignement qui seuls permettront le renouveau de la pensée critique et de la pluralité des points de vue.
Allocution du Pr MASQUELET – Séance solennelle du 14 janvier 2011